Pangloss ou le mauvais prêcheur || PV

This train is for Bank. The next stop is Shadwell. Before leaving the train, please remember to take all your belongings with you...

Le métro aérien, plus communément appelé DLR, scandait cette phrase à la manière d’un refrain, d’une voix monocorde et distante, toujours la même. Une rengaine transparente à laquelle les Londoniens n’accordaient plus d’importance ou presque. Les mêmes personnes dans les mêmes compartiments aux mêmes heures : tout n’était qu’habitude lassante et pourtant rassurante, une routine que Desmond essayait de briser par toutes sortes de stratagèmes. Observer les voyageurs, par exemple. Les détailler pour apprendre ce que leur attitude révélait de leur personnalité. Il avait fait ça des milliers de fois depuis qu’il était jeune et connaissait ce jeu mieux que quiconque. Les autres étaient tellement prévisibles ! Bien sûr, il ne prétendait pas que ses analyses s’avéraient être une science exacte…mais la plupart du temps, il ne se trompait pas. Ce qui lui plaisait, au travers de tous ces individus, c’était de savoir que chacun possédait son propre cadavre dans un placard qu’il tentait de s’imaginer. Maîtresses régulières, addiction aux jeux ou à l’alcool, vols, meurtres…de nombreuses possibilités s’offraient à cet esprit inventif et sournois qui ne manquait pas d’exagérer ses hypothèses. Il scrutait plus qu’il ne regardait, rendant ses proies mal à l’aise au point qu’elles décident de changer de place ou tout simplement de s’adresser directement au voyeur en l’invectivant. Il ne répondait jamais, se contentant de cligner des yeux ou parfois de sourire légèrement. Un jour, une femme qui aurait pu être sa mère s’était levée pour lui flanquer une gifle avant de quitter précipitamment le métro. Il avait alors éclaté d’un rire sans joie sous les regards effarés des autres londoniens qui le crurent saoul. S’ils savaient…s’ils pouvaient comprendre la pédagogie d’un tel exercice !

Il quitta le métro en suivant la masse, ce troupeau de corps en ébullition, direction les escalators et le cœur financier de la capitale britannique. Il imita quelques hommes d’affaires en entrant chez Starbucks pour un long café noir, le temps de repasser ses rendez-vous de la journée. Il ne travaillait pas à son compte mais personne n’aurait remarqué son absence, quand bien même il serait arrivé à l’heure du déjeuner. Il faisait du chiffre sans pour autant améliorer ses performances. Du moins, c’était ce que son patron croyait, d’où le manque d’intérêt accordé à ce salarié muet. Pourquoi muet ? Parce qu’il était évident qu’il n’avait aucune personnalité ! Il agissait, suivant les ordres, sans jamais émettre la moindre objection lors des réunions et c’était à peine si on arrivait à lui soutirer plus d’une phrase. Ce type devait avoir de sérieux problèmes pour être aussi renfermé, non ? Mais personne n’en avait rien à secouer, pour la simple et bonne raison que maintenant plus que jamais, c’était sa peau avant celle de son voisin. Il n’avait pas à se plaindre, précisément parce qu’on le croyait autiste ou trop timide pour prendre la parole. Est-ce que quelqu’un avait déjà pris la peine de s’intéresser un tant soi peu à sa conversation ? Ses connaissances ? Ses passions ? Alors qu’on ne vienne pas lui reprocher de s’enfermer à double-tours dans un monde que lui seul peut appréhender.

En saisissant le Guardian déjà ouvert, il parcourut rapidement les nouvelles, sans vraiment les lire, histoire de perdre quelques minutes supplémentaires. Rien de neuf, si ce n’est ce gamin de treize ans qui avait bravement secouru une camarade tombée dans un ravin lors d’une sortie scolaire. Une fois encore, tout n’était que répétition…

WHERE IS JACK ?

Desmond eut un rictus lorsque le titre lui sauta aux yeux. Ce bon vieux Jack…Londres ne pouvait se passer de lui depuis son grand retour ! Les jours les plus calmes, on ne lui accordait qu’un quart d’heure sur BBC News. Un nouveau meurtre et c’en était fini : on entendait plus que ça. C’est instinctivement que notre négociateur immobilier avait retenu les derniers lieux fréquentés par le tueur en série. Ces endroits étaient une véritable mine d’or étant donné qu’ils attiraient les fanatiques et faisaient fuir les craintifs. Acheter et vendre : deux verbes qui résumaient son activité et l’Eventreur faisait fructifier son commerce comme jamais ! En l’espace de trois semaines, il avait réalisé davantage de vente que ces cinq derniers mois. Des petites structures, aucune somme véritablement importante…mais si un grain de sable est suivi par d’autres grains, ils forment une dune au final, n’est-ce pas ? De nombreuses opérations se réalisaient au noir, avec l’aide d’un notaire aussi peu scrupuleux que lui. Les vendeurs étaient prêts à descendre les prix, du moment qu’ils quittaient le quartier. Quant aux acheteurs, ils auraient hypothéqué leur propre personne si cela avait été possible, dans l’unique but de vivre à proximité de leur idole. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes…

Et son doigt pâle pointait vers le sucre. Les sachets de sucre, ouais. Elle était définitivement perdue, hélas...