INTRIGUE N°1 ( Bas les masques ! )

La présence de Vladislav à cette soirée l’étonnait lui-même. C’était un truc très guindé, un truc dans lequel il fallait payer pour entrer. Un truc dans lequel la plupart des gens transpiraient le fric et n’avaient sans doute pas de conversation. Pourtant, il était là. Normal, aurait-on presque cru. Le petit vendeur de disques voulait voir du beau monde. Le petit vendeur de disques voulait savoir ce qui se tramait dans le monde des gens qui avaient tant d’argent qu’ils pouvaient se permettre dépenser en une soirée ce que lui gagnait en un mois - et plus.
Ce qu’il foutait là? Une histoire de fille, encore. Une fille très jolie d’ailleurs, bien sûr, dont les cheveux blonds miroitaient et dont le sourire le faisait fondre. Pour une fois, niveau vêtements, le jeune homme avait fait un effort. Adieu les fripes, il avait puisé dans ses précieuses économies pour l’acquisition d’un costume qui lui donnait presque l’air de faire partie du même milieu que ces personnes. Ce n’était pas faux, aussi, la famille de Vladislav n’avait jamais manqué d’argent. Normal, me direz vous, c’était l’une des conditions pour être mafieux : obtenir de l’argent.
Il venait d’entrer dans le hall, après avoir présenté son nom au groom avec lequel il avait échangé quelques mots. Une espèce de manière de lui montrer qu’il n’était pas indifférent à son existence et que cet homme en costume n’était pas un vulgaire élément du décor.
Après quelques mètres, la jeune femme qui l’avait invitée l’attrapa par le bras, en lui déposant au préalable un léger baiser sur la joue : elle souhaitait lui présenter des amis. Pourquoi avait-il accepté de venir, déjà? Ah oui, parce qu’elle lui avait sauvé, plus ou moins la vie. Car comme vous pouvez sans doute le constater, le beau visage de Vladislav paraît avoir quelques cicatrices, encore, et sa démarche est moins assurée qu’à l’accoutumée.
La raison? Son frère aîné. Ils se sont recroisés après des années de séparation. Se furent des retrouvailles touchantes. A la fin, notre jeune russe s’était retrouvé en bordure de Londres, presque nu et le corps tuméfié de tous cotés.
Il serait sans doute mort, si la jeune femme avec laquelle il se retrouvait à passer la soirée ne l’avait pas sauvé. Elle n’était pas obligée : un homme rampant à moitié sur le bord de la route, on évite, généralement, il y a tant de fous qui parcourent les rues, de nos jours…
Enfin, elle s’était arrêtée et contre ses insistances de l’emmener à l’hôpital, avait fini par l’accueillir chez lui. Deux semaines, plus ou moins, avaient passées, depuis. Et Vladislav se retrouvait là, dans cette soirée, avec une espèce de balafre sur la joue droite. Mais c’était toujours le même homme, toujours aussi beau, aussi séduisant. Donc, on ne s’en formalisait pas et il se confondait dans la masse : comme un charmant petit joueur de golf qui aurait reçu un club dans la gueule par inadvertance.
Quelques minutes passèrent alors que le jeune homme se retrouvait coincé dans la conversation la moins intéressante de son existence : les cours de la bourse, sans doute. Il n’avait qu’une envie, tourner les talons. Retourner dans son appartement et se calfeutrer. Dormir. Penser à autre chose. N’allez pas croire que retrouver son frère ne lui avait pas laissé autre chose que bleus et cicatrices. Son âme s’était mise à dégouliner d’angoisse, sentiment similaire à celui qui l’habitait autrefois, avant sa fuite de Russie.

Soudain, l’obscurité : le bruit des voix cessa un instant, puis reprit de plus belle : un brouhaha indigné.
Vlad fidèle à lui-même, en profita pour attraper la main de sa compagne et l’éloigner de la masse afin d’échanger un baiser, à la lueur des faibles panneau verts estampillés « exit ».
Et la lumière fut. Un cri se fit entendre, suivit par plusieurs autres. Se détachant de Candace, il tourna la tête en direction de ce que tout le monde voyait.
Une femme était morte. Sa dépouille gisait, telle une sculpture abandonnée. La blonde qu’il venait d’embrasser poussa un cri d’horreur et se réfugia dans ses bras. Lui, ne bougea pas : cela n’était pas la première qu’il voyait quelqu’un de mort. Oh, ne croyez pas à une réaction héroïque, cela n’était nullement le cas. En réalité, ses entrailles venaient de se serrer dans sa poitrine. Quelques minutes passèrent, sans doute, tandis qu’il faisait le rapprochement : Anna était sans doute morte de la même façon. Ses bras autour de la jeune femme, il la serrait nerveusement, de toutes ses forces. Un besoin de s’agripper à quelque chose. Une envie d’être ailleurs. Putain.