Qu'attendait-elle en réalité? Un signe, un indice qui lui prouverait avec certitude qu'elle ne s'était nullement fourvoyée en exprimant son désir de le revoir. Elle n'aurait su répondre à cette question. Elle ne l'avait pas réellement voulu. Comment aurait-elle pu d'ailleurs ne serait-ce que le prévoir? Il s'était introduit dans son existence, un jour, sans crier gare, et l'avait laissée seule avec pour seules compagnes ses interrogations. Qui il était, d'où il venait, elle n'en savait rien. Jamais elle ne lui avait prêté la moindre attention avant qu'il ne se manifeste à elle. Elle voyait passer de nombreux clients, à longueur de journées. Elle n'avait pas eu la moindre raison de le faire. Pourtant, elle aurait du le voir. Voir ces clichés qu'il avait prit d'elle, la manière dont il l'avait perçue. Par quel obscur stratagème était-il parvenu à saisir dans l'instant de telles expressions, qu'elle avait pourtant cru insaisissables. La torture, la mélancolie. La peur, la tristesse. La haine sans doute, et la violence. Mais savait-il seulement quel monstre elle pouvait être? Elle en doutait. Personne ne savait. Lui pas davantage que les autres. Nul ne savait quel sombre passé elle dissimulait, ni ce qui l'habitait. Cet autre être, cette force, tapie dans l'ombre, attendant la moindre occasion pour pouvoir s'exprimer. Être conscient d'avoir été observé à son insu était loin d'être un sentiment agréable. Un sentiment qu'elle avait tenté de chasser de son esprit. Oublier. Se perdre parmi les précieux volumes qu'elle aimait tant. Mais les mots ne l'avaient nullement aidée à cesser de songer à cette étrange rencontre, pas davantage que le glissement de l'archer sur les cordes de son précieux violon. Alors, elle avait pris ce petit morceau de papier plié en quatre, que pour une obscure raison, elle avait conservé. Calmement, elle avait composé le numéro sur le combiné, appareil dont elle ne se servait d'ordinaire que rarement.
Elle lui avait simplement rappelé qu'elle était la libraire des photographie. Pas de nom, pas de sentiment particulier pouvant se deviner d'après le ton de sa voix. Elle s'était contentée d'énoncer ces simples faits comme une récitation qu'elle aurait apprise par cœur, d'un ton monocorde et sans laisser paraître la moindre once de sentiment. Lui avait fixé un rendez-vous. Puis, sans plus de cérémonie, avait raccroché. Elle ignorait si elle avait prit la bonne décision. Il ressentait ce qu'elle ressentait. Ses mots exacts. Mais comment savoir s'il disait ou non la vérité? Comment savoir s'il ne cherchait pas à la faire tomber dans un quelconque piège qui la mènerait à sa perte? De la paranoïa sans doute, mais qu'elle estimait justifiée. Et pourtant, elle ne pouvait le nier, quelque chose chez lui l'intriguait, voire même l'attirait. Il avait su voir si juste à travers l'œil de son appareil photo, et que pourtant, nul ne regardait jamais. Elle avait envie de savoir, envie de découvrir ce qu'il cachait. Envie de réussir à le percevoir comme lui même l'avait perçue. Et pourtant, subsistait en elle un affreux doute, qui ne cessait de croitre, et sa méfiance naturelle reprenait le dessus. Ne jamais avoir la moindre attache. Ne jamais laisser à personne la possibilité de connaître ce qu'elle cachait, de s'en servir pour lui faire du mal.
Elle était chargée de fermer la librairie ce soir là. Elle avait choisi ce moment avec soin. Un moment où elle n'aurait pas à s'occuper d'éventuels clients retardataires. Un moment où elle pourrait à loisir et sans crainte d'être distraite décider si oui ou non elle pouvait croire ses paroles, et éventuellement lui faire confiance. Mais ce n'était qu'une entrevue. Rien qui ne soit réellement capable de l'ébranler. Et pourtant, tout en effectuant un rangement des volumes dans les rayons, elle ne pouvait empêcher ses gestes d'être rapides, nerveux, comme trahissant une certaine anxiété. Elle ne parvenait pas davantage à s'empêcher de jeter de brefs et réguliers coups d'oeil vers la porte de la librairie, puis de défroisser machinalement sa robe bleue nuit. L'attente. Elle se sentait à la fois nerveuse à l'idée de le voir venir à elle, et pourtant, aurait sans doute détesté qu'il ne vienne pas. Que pouvait avoir en lui cet inconnu pour provoquer de telles réactions chez elle, l'intriguer au point qu'il lui était impossible de chasser de son esprit cette si inattendue et inhabituelle rencontre. Elle songeait encore à la simple phrase qu'il lui avait adressée, en lui montrant les clichés. Si simple, mais si lourde de sens. Était-ce seulement possible? Pouvait-il réellement ressentir ce qu'elle même ressentait? Elle le saurait sans doute sous peu. Elle tentait de se calmer par le rangement. Une tâche méthodique et répétitive qui habituellement l'aidait à y voir plus clair. Plongée dans ses pensées, elle n'entendit pas immédiatement la porte d'entrée s'ouvrir.
Serais-tu le reflet de mon âme? [Pv]
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